C'est le passé et le présent qui se mélangent pour former la passionnante histoire culturelle de notre antique cité, tournée irrémédiablement vers l'avenir…
Ces "billets", pour amoureux d'Anduze, n'en sont que quelques modestes reflets.

26 janvier 2015

Anduze au Moyen-âge - VIII

De sombres nuages à l’horizon

Presque à la même époque que Bernard VI d’Anduze, le comte de Toulouse Raimond V décéda à Nîmes fin 1194 et il fut inhumé dans le cloître de la cathédrale. Raimond VI qui lui succéda est souvent dans la région, lui aussi, ne serait-ce qu’en raison des troubles perpétrés par des bandes de soldats, surtout aragonnais, laissés sans contrôle après la fin des derniers conflits.
Raimond VI est très mal vu par l’Eglise : d’abord, comme ses aïeux, il s’en prend aux religieux de Saint Gilles. Ensuite il se conduit de façon très bienveillante avec les Cathares. Enfin, il vient de se remarier après avoir sans ambages répudié Béatrix de Béziers dont il avait eu une fille, Constance, son seul enfant. Déjà excommunié, puis absout en 1198 moyennant des engagements qu’il ne tiendra pas, le comte de Toulouse, tout puissant qu’il fût, devait bien sentir la nécessité de resserrer les liens avec ses plus solides vassaux de l’Est, surtout s’ils ont accès à l’oreille du Saint-siège...

Il peut compter sur le seigneur de Lunel, son connétable pour le comté de Melgueil, sur celui de Sabran co-seigneur d’Uzès et aussi son connétable en Uzège. Et puis il y a la puissante Maison d’Anduze et Sauve toujours fidèle à la suzeraineté mais capable d’indépendance critique envers les extravagances du suzerain. Leur caution peut lui être d’autant plus utile que dans les trois diocèses dont elles relèvent, le catharisme y est très discret si l’on en croit Léon Ménard au moins pour Nîmes.
Ce sont peut-être ces considérations qui conduisent en 1202 Raimond VI à donner la main de sa fille Constance à Pierre-Bermond VI de Sauve. Raimond VI à nouveau excommunié à la suite d’évènements déjà décrits, Pierre-Bemond VI avec son père Bernard VII et les autres grands vassaux durent assister à la soumission du comte au légat du Pape à Saint Gilles en 1209 et avec lui prêter serment aussi.
Et puis ils assistent malgré eux au siège et au sac de Béziers, horrible début de la croisade contre les Albigeois qui, ensuite, se déplace dans toutes les terres du vicomte Trencavel dont les châteaux tombent l’un après l’autre.

Cette évolution très inquiétante incite Anduze et Sauve à une politique de prudence, peut-être aussi à prendre certaines précautions : en effet, à peine quelques mois après le début de cette tragédie, on voit le seigneur d’Anduze Bernard VII en mars 1210, entouré de sa femme et leurs quatre garçons, vendre le château de Fressac à la Cathédrale du Puy. Elle avait toujours des biens autour d’Anduze depuis l’épiscopat de Frédol deux siècles plus tôt et les relations étaient sans doute toujours très bonnes ; alors, on ne sait jamais... Fressac le cas échéant pourrait bien devenir place de sûreté par personne interposée, intouchable. Mais ceci n’est pas écrit dans les actes !
Encore excommunié en 1210, Raimond VI, qui a repris les armes, ne paraît pas avoir été suivi par ses vassaux de l’Est. Après son désastre de Muret en 1213 et son échappée en Angleterre, le vainqueur, Simon de Montfort, déjà investi par le pape des domaines Trencavel, réussit à se faire adjuger les possessions du comte de Toulouse à l’exception de tout ce qui se trouve à l’Est de Béziers. Il met pourtant la main sur Nîmes et tente de s’en justifier en extorquant en Mai 1214 un désistement en sa faveur de l’ancien vicomte Bernard Aton VI qui n’y avait plus aucun droit depuis presque trente ans !

Continuant ses conquêtes, Simon de Montfort s’empare du Rouergue où la Maison d’Anduze a pas mal d’intérêts ; peut-être pense-t-il alors la ménager, car ayant négocié la reddition de Déodat III seigneur de Sévérac le Château, avec qui elle a de vieux liens, au lieu de donner la garde de ce château à l’un de ses chevaliers du Nord comme d’habitude, il la confie en commun à l’évêque de Rodez et à Pierre-Bermond VI. Déodat, d’ailleurs, le récupèrera quelques années plus tard.
Malgré cela Pierre-Bermond VI ne craindra pas de se mettre en travers des ambitions de Simon de Montfort.

Le temps des orages

Comme le rapporte Léon Ménard « le concile assemblé à Montpellier au mois de janvier de l’an 1215, ayant donné provisionnellement à Simon de Montfort la possession des domaines du comte de Toulouse et de tous les pays dont les croisés avaient fait la conquête...», il était temps d’intervenir d’autant plus que le comte, toujours absent de ses états, n’arrivait pas à défendre ses droits auprès du pape ; et il faut ajouter que, de sa quatrième épouse Jeanne d’Angleterre, il avait enfin un fils.
Pierre-Bermond aurait envoyé à ce sujet au Saint-Siège une lettre qui dût l’embarrasser car elle n’eut pas de réponse. Alors il fait le voyage à Rome pour expliquer les droits de sa femme Constance : si Raimond VI doit être déchu de ses titres, c’est sa fille Constance sa seule héritière légitime, car le mariage avec Béatrix de Béziers, toujours en vie, n’a jamais été cassé ; l’union du comte en 1195 avec sa cousine Jeanne, fille d’Henri II Plantagenet, forcément n’avait pu obtenir, non plus, la dispense nécessaire ; donc leur fils Raimond était sans aucun droit...

Ces arguments indiscutablement inattaquables étaient sans doute très peu agréables au jeune Raimond et à son père... Mais n’y avait-il pas un accord secret entre Sauve et Toulouse pour une solution provisionnelle ? Car ces arguments ne devaient pas plaire du tout, non plus, à Simon de Montfort ! Ces arguments n’eurent pas de conclusions : Pierre Bermond VI est mort au cours de son séjour à Rome, subitement... secret d’Etat ?
Pierre-Bermond VI et Constance de Toulouse/Béziers avaient eu six enfants dont Pierre Bermond VII qui succéda à son père ; mais en 1215 donc, il n’a que 12 ans et c’est son grand-père Bernard VII toujours vaillant qui reprend les rênes jusqu’à la majorité du jeune seigneur de Sauve. En fait, durant les sept à huit ans qu’il lui reste à vivre il va former son petit fils à la sage politique ancestrale qui a fait la force de la Maison d’Anduze et Sauve, dans sa fidélité au comté de Toulouse... mais pas aveuglément au comte.
Pour l’heure, les empiètements en toute impunité de Simon de Montfort sont très préoccupants et certains se hasardent au double jeu avec lui, tel Rostaing de Posquières-Uzès qui lui fait allégeance en avril 1215 pour garder son château de Vauvert.

Son voisin, mais de l’autre côté du Vidourle, le seigneur de Lunel, malade, termine sa vie dans l’inquiétude des lendemains incertains car son héritier désigné est jeune. Alors son long testament se termine par cette déclaration : « Je laisse Pons-Gaucelm mon fils et tous mes enfants, les tuteurs et curateurs et tout mon territoire et mes gens sous la protection et la garde et le soutien de mon seigneur Pierre-Bermond». Il s’agit de Pierre Bermond VI qui fut présent le 4 Juillet 1215, peu avant son départ pour Rome, à la publication de ce testament, avec son père Bernard VII d’Anduze. Celui-ci étant d’un âge avancé, plus de 60 ans, il était plus logique que son fils fut désigné comme protecteur, mais il est permis aussi d’y voir un autre indice du lien de vassalité de Lunel exclusivement envers le seigneur de Sauve.
C’est juste un an plus tard, en Juillet 1216, que le fils du comte de Toulouse revenu avec son père par la Provence, reprend Beaucaire avant de poursuivre sur toutes les places conquises par Simon de Montfort. Celui-ci pourtant se maintient à Nîmes, doit finalement s’emparer de Posquières et de Bernis dont plusieurs habitants sont pendus. On est alors surpris de voir deux personnages passer dans son camp : en 1217, son fils Amaury de Montfort reçoit le serment de fidélité de Raimond Pelet co-seigneur d’Alais et Bernard VIII frère de Pierre-Bermond VI en fait autant ; peut-être par dépit d’avoir été jadis peu favorisé par son père ? Peut-être aussi ne croient-ils plus à l’étoile de Toulouse ?
Pour l’instant ils se trompent car, on le sait, le 25 Juin 1218 Simon est tué devant Toulouse reprise et son fils, obligé de battre en retraite, ne va pas montrer les valeurs militaires de son père.

Raimond VI de Toulouse enfin respire et il va pouvoir s’appliquer à régler le différend avec sa fille Constance d’autant plus que la mort de son gendre à Rome a fait courir des bruits qui ne sont peut-être pas étrangers aux défections dans la famille d’Anduze. Cette même année 1218 à Perpignan il rencontre son petit-fils Pierre Bermond VII à qui il donne un château en Rouergue, une forte somme d’argent, la suzeraineté sur les terres de Raimond Pelet co-seigneur d’Alais et la domination sur celles de son oncle Bernard VIII.
En contrepartie de ce traité Pierre Bermond VII fait serment au comte de Toulouse, son grand père, « de le servir envers et contre tous, excepté contre le pape et le roi de France à moins qu’ils refusassent de lui faire justice ». 
Le serment s’appliquait aussi au fils du comte, Raimond VII, qui confirma le traité et qui prend en main de plus en plus les affaires de Toulouse, continuant à refouler Amaury de Montfort. Ce dernier, en 1220, eut encore le temps de rédiger un acte dépossédant Pierre Bermond VII de sa part sur Alais pour la donner à l’oncle Bernard VIII. On ne sait pas trop ce qu’il en a été sur le terrain mais cet imbroglio familial ne va pas durer…

Pierre Gaussent - A suivre

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